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MINI-SESSION
POUR DÉBUTANTS DE TANGO ARGENTIN
LES JEUDIS 19 H, LES SAMEDIS 10 H

NOUVELLE MINI-SESSION

UNE ANALYSE SUR LE TANGO À MONTRÉAL

DE LA BOHÈME À LA MARCHANDISATION DU TANGO
Témoignage historique, réflexion collective et propositions écoresponsables

Communication de Paul Monpetit, juin 2024, avec la complicité de Sylvie Gravel

Après plus de 35 ans dans le monde du tango d’ici et d’ailleurs, je pense qu’il est temps
de faire une réflexion, c’est-à-dire d’apporter une contribution à l’état des lieux de notre monde du tango. J’entame la dernière partie de ma vie et pour moi, il est bon de revoir, d’analyser et de comprendre l’environnement local et à la fois global dans lequel j’œuvre. J’ai le goût de partager mes idées avec celles et ceux qui aiment le tango argentin, le jouent, le dansent, l’apprennent, l’improvisent.

J’estime avoir un poste d’observation privilégié sur l’évolution du tango à Montréal.
J’étais là pratiquement au début et j’y suis encore présent aujourd’hui comme danseur, professeur, D.J. et organisateur d’événements. Laura Steinmander et moi sommes les « moteurs » de La Tangueria, un endroit précieux où, nous et les complices de La Tangueria pouvons vivre notre philosophie de vie collective basée sur la solidarité, l’égalité et l’horizontalité de nos rapports humains. Nous nous considérons comme des vis-à-vis semblables précisément dans le monde des « experts du tango ».  Nous expérimentons notre tango montréalais toutes les semaines à La Tangueria, et cela depuis plus de 30 ans. La Tangueria protège les racines populaires du tango en contact avec toutes les classes sociales, avec empathie, sans frontières culturelles.

La Tangueria de Montréal a toujours été un lieu où la structure des relations sociales est horizontale, avec nos valeurs sociales basées sur l’égalité et le respect de la différence entre les uns et les autres, entre les unes et les autres. Ce contrepied du modèle hiérarchique traditionnel nous guide depuis le début. Par notre histoire et encore aujourd’hui, nous avons démontré ces valeurs fondamentales que nous protégeons avec nos cœurs. Nous avons saisi plusieurs occasions pour brandir le choix de nos valeurs. Par exemple, nous nous sommes mobilisés à trois reprises pour réaliser La journée du tango contre le racisme, dont la 1e édition a eu lieu au Chalet de la montagne de Montréal le
8 septembre 2001, deux jours avant le 11 septembre… Nous avons rassemblé des milliers de personnes avec un message égalitaire et unitaire contre le racisme sous toutes ses formes (https://www.ledevoir.com/societe/8612/tango-pour-une-bonne-cause).

Le 2 juillet 1984, j’ai assisté à un spectacle qui a changé la trajectoire de ma vie. C’était au Spectrum, cette salle mythique où c’était rassemblé une foule compacte, principalement formée de Latino-américains, venue pour voir et écouter sur scène Astor Piazzolla et son Quinteto, au violon Fernando Paz et au piano Pablo Ziegler. La foule a été foudroyée par la beauté de cette musique. J’ai été foudroyé. J’ai alors commencé à danser quelques années plus tard au Quai des Brumes, un lieu d’expression poétique qui a ouvert ses portes en 1985, à l’époque où le Plateau Mont-Royal était ouvrier. La bohème le dimanche soir… C’était les balbutiements du tango à Montréal. Il y avait aussi Lily Palmer et Antonio Perea les dimanches en soirée sur le boulevard Saint-Laurent. Pratiquement
dès le début, il y a eu de la compétition entre des groupes de tango. 

Au Quai des brumes, c’était le Cercle tango, un groupe qui y organisait la soirée, un genre de collectif, avec Pierre Monette (écrivain animateur pendant plusieurs années d’une émission de tango à la radio CIBL) et Denis Beauchamp (ancien échevin de la Ville de Montréal sous Jean Doré) en faisait aussi partie. À cette époque la majorité des gens qui dansait le tango était des marginaux de la société, des gens dans le monde des arts et des artistes… 

C’est dans les années 1990 qu’il y a eu le déclic pour le tango argentin où soudainement ce tango s’est élargi avec un bassin de gens qui voulaient apprendre à le danser. L’époque des écoles s’est déployée. Il y a eu une expansion phénoménale du tango argentin autant à Montréal que sur la planète. Ce qui a rapidement amené aux voyages à la mecque du tango, Buenos Aires, où s’y rendre est devenu un « must » pour s’engager sérieusement dans le tango. Les souliers, les vêtements, les croisières tango, les voyages organisés pour des cours à l’étranger et le summum, le Mondial du tango à Buenos Aires. On peut dire que ce summum est également le summum de la marchandisation du tango, je veux dire sa commercialisation, parfois sa mercantilisation, à travers la multiplication des événements mondiaux et régionaux. 

Une des premières expressions de cette marchandisation date du début des années 90 par la création, aux États-Unis, de la compagnie Bridge to the Tango, de Daniel Trenner.
J’ai organisé plusieurs événements à Montréal avec Daniel Trenner. J’ai assisté aux premières actions de la marchandisation de cette danse populaire. Bridge to the Tango
et les activités qu’elle organisait sont les principaux outils encore utilisés aujourd’hui
par les tenants de cette philosophie de vie. Des voyages de groupe à Buenos Aires, l’organisation de festivals internationaux, une production de vidéos sans limites, de listes de musique préenregistrées pour devenir D.J. en trois classes avec les maîtres du tango
de l’époque, etc. 

On peut comprendre qu’un Yankee a aidé énormément à faire connaître le tango partout aux États-Unis par la venue des maîtres du tango, des voyages à Buenos Aires, des vidéos des maîtres produits et diffusés partout aux États-Unis, en Europe, etc. De plus, la globalisation avec l’avènement de l’Internet à la fin des années 90 a permis une consommation exponentielle des produits dérivés du tango argentin. La marchandisation a rendu possible la diffusion du tango argentin sur toute la planète. Toutefois, dans la mire des tangueros argentins, on peut comprendre facilement l’existence paradoxale d’un sentiment positif, mais aussi négatif par rapport au « Yankee » Daniel Trenner. Car dans ces années-là, la principale tendance à Buenos Aires était le rejet du « Yankee » qui vient exploiter et piller la culture argentine. Pourrait-on dire voilà un travers de l’appropriation culturelle, d’une hybridation contraire à l’identité nationale argentine ? La réponse des Argentins n’a pas tardé, rapidement des organisateurs locaux de Buenos Aires ont pris la place du « Yankee ». 

La crise socio-économique au début de l’an 2000 en Argentine et la démission du président Fernando de la Rúa ont ouvert une nouvelle époque sans précédent, c‘est-à-dire une crise économique et sociale profonde, de laquelle la société argentine ne s’est jamais remise. Selon ma compréhension, la marchandisation du tango a explosé justement aux débuts de cette crise en Argentine : son expression la plus vibrante aujourd’hui transparait dans ce qu’est devenu Le Mondial du tango de Buenos Aires. Alors qu’en est-il vraiment aujourd’hui de la fascination pour la danse populaire qu’est le tango argentin ? À l’origine, ce fut une création urbaine des pauvres assez éloignée de la défense des vertus bourgeoises. Depuis, le tango argentin a été emporté dans la séduction tournée vers les classes moyennes et bien nanties et vers le monde des arts élitiste. Si le tango argentin est la danse du peuple, s’il est l’âme de l’histoire du peuple, comment veut-on le vivre ici aujourd’hui, malgré son contexte de marchandisation ?

La marchandisation est présente dans tous les secteurs de nos activités humaines. L’augmentation exponentielle de l’empreinte carbone est générée par nos modes de vie actuels. Entre autres, il y a les voyages à Buenos Aires, les festivals partout sur la planète, les croisades de tango, les marathons… On voit le verticalisme des rôles rejoindre l’élitisme du milieu du tango afin de tirer des avantages pécuniaires pour créer des événements qui ont comme résultat de hiérarchiser les échelons atteints dans un contexte de performance compétitive. Que pensons-nous de ces compétitions mondiales de tango argentin ? Les portes tournantes des codes et des styles « payants » en viennent finalement à « normer » le tango, entraînant une perte de son sens premier : marcher ensemble. 

La surutilisation du transport aérien dans le cas de « l’empreinte carbone tango » est propulsée par nos désirs et nos besoins tant individuels que collectifs avec nos groupes montréalais de tango. On virevolte sans trop porter attention aux gestes qui pourraient être posés pour reprendre un contrôle, si modeste soit-il, face au réchauffement climatique. Comment ne pas rester figé dans nos habitudes d’organisation et amorcer la diminution de « l’empreinte carbone tango » à travers les tendances actuelles de divertissements sociaux et touristiques ?

La hiérarchisation du tango est un reflet d’enjeux socio-économiques où dominent la performance, le mérite et l’élitisme. Les tendances actuelles de la danse pendant les milongas montréalaises démontrent qu’on danse entre « bons danseurs » et que les professeurs privilégient de danser avec les « bons danseurs ». Ainsi, les autres en marge de la performance sont laissés pour compte et finissent par éprouver un ressenti désolant, un malaise qui contrecarre l’impératif socioculturel et socioaffectif du tango argentin. Pour tenter de déjouer ce malaise, que les professeurs prêchent par l’exemple en dansant avec leurs élèves. De même que les bons danseurs, au lieu de toujours danser entre eux-mêmes, devraient plutôt se mélanger avec l’ensemble et ainsi transformer l’atmosphère de la piste de danse. Cette posture d’ouverture doit venir des professeurs, dans leur façon de fabriquer la culture du tango argentin qui enjambe le temps et les frontières conventionnelles.

La marchandisation nourrit les élites du tango et vice versa. Ce sont les deux côtés de la même médaille. Les gens qui ont des moyens financiers ou d’autres qui investissent une large part de leurs argents dans le tango pour se payer les meilleurs professeurs ou des voyages à Buenos Aires contribuent à créer des échelons. Il y a aussi un phénomène sociologique qui s’ajoute et complique la situation. Il y a des gens qui se transforment sur la piste de danse en personnage happé dans la fantaisie d’un rôle qu’ils sont incapables de retrouver dans l’anonymat de leur vie quotidienne. Devenir important, être le meilleur, etc… La compétition… Autrement dit, on s’isole de façon égocentrique dans un faire-valoir détourné des racines populaires de la culture du tango argentin.

Plusieurs témoignent du fait que la solidarité dans la danse du tango argentin représente tout un défi. Même que dans certains lieux, ne danse pas qui veut. Pourquoi certaines personnes ne sont-elles pas à l’aise dans un lieu de danse ou un autre ? Il semble difficile de comprendre ce qui ne va pas, du moins de prendre un pas de recul pour y réfléchir.
Est-ce la musique ? Le niveau de la danse ? Le poids croissant de l’embourgeoisement lié à la vogue contemporaine du tango ?  À l’inverse, comment sait-on exactement ce qui plaît, ce qui convient ? Pour moi, je pense que le fait de se sentir bien dans une milonga est beaucoup lié à l’atmosphère que nous construisons à chaque milonga, où tout le monde présent danse ensemble y compris les professeurs avec leurs élèves.

À Montréal, pour le temps qu’il me reste, j’ai envie d’ajouter un minimum de gestes écoresponsables dans l’univers du tango argentin. Car rien de concret en termes de responsabilisation collective n’existe en ce sens parmi les collectifs montréalais de tango. C’est d’autant plus triste d’être dans ce statu quo, quand on sait ce que l’Argentine vit actuellement. 

Quelles sont les choses à faire pour améliorer la situation du milieu tango ?  Bien sûr,
nous ne pouvons pas changer d’un coup les problèmes socio-économiques et environnementaux de la société, mais j’ose espérer qu’un geste d’ouverture puisse faire
la différence pour ce qui compte dans nos conditions humaines du XXIe siècle. 

Voici quelques idées de pistes :

  • L’invitation Oser des choix écoresponsables, un virage nécessaire dans le milieu du tango à Montréal pour lancer un débat ouvert est un bon début. Je propose une première discussion sous la forme d’un forum ouvert à Montréal qui aura lieu en marge du Marathon de la Fête nationale le dimanche 23 juin 2024, de 12 h à… Le forum sera de 17 h à 19 h, au rez-de-chaussée du Club espagnol du Québec, 4388 boul. Saint-Laurent.
  • Je propose ce thème : que pouvons-nous faire pour améliorer notre milieu montréalais de tango ? Évidemment les gens sur place peuvent décider d’aborder d’autres éléments, c’est le propre d’un forum. 
  • Pour les déplacements continentaux et internationaux liés au tango, il devrait y avoir un coût supplémentaire, par exemple proposer une taxe ou une charge ajoutée pour ce choix. Lors d’événements grand public payants et organisés par
    La Tangueria ou un autre collectif de tango, on contribuerait à la hauteur de 10 % des profits acquis pour offrir ce 10 % avec ce type de scénarios :
  • À une association humanitaire ou un OSBL en Argentine qui s’engagent à relever les défis face aux changements climatiques tout en sensibilisant, entre autres, les compagnies de pétroles.
  • À une association humanitaire ou un OSBL en Argentine qui combat la faim, la malnutrition et la détresse des milliers de personnes sans-abri de la capitale Buenos Aires (https://www.pressegauche.org/Argentine-Faim-et-malnutrition-dans-un-grenier-du-monde-agro-exportateur).
  • À une association ou un OSBL du Québec ayant les mêmes objectifs de relever les défis face aux changements climatiques tout en sensibilisant, entre autres, les compagnies de pétroles et les compagnies de déplacements aériens et maritimes.
  • Les écoles de tango de Montréal peuvent travailler ensemble pour faire venir des professeurs pour une tournée générale (Time sharing) et donc limiter l’utilisation de du transport aérien.
  • Pour organiser la venue d’Argentine de différentes personnes provenant du milieu de la danse et des arts argentins, La Tangueria propose de le faire conjointement avec au moins une autre école de tango de Montréal. 

Ce ne sont pas des propositions visant à s’accorder une bonne conscience. Il s’agit plutôt d’apprendre à opérer des changements dans nos habitudes d’activités individuelles et collectives de tango. À court terme, des décisions peuvent être déstabilisantes, mais avec le temps elles vont prouver que cela en valait la peine. Le monde planétaire a changé. Pourquoi et comment se responsabiliser davantage avec nos projets et nos choix collectifs dans le monde du tango montréalais ?  Par exemple, quand un festival s’organise à Montréal, et que prendre l’avion en est une réalité incontournable, la solidarité des écoles montréalaises de tango contribuerait à combattre la surconsommation des énergies fossiles par l’offre d’un soutien financier à un groupe social engagé dans ce mouvement de sensibilisation de l’heure. 

L’inaction n’est pas une option ! 

Aidons l’écoresponsabilisation du milieu du tango montréalais, si modeste soit-elle. Un proverbe japonais dit que même un chemin de mille lieues commence par un pas…


Des étudiantes de la classe technique du mouvement

La tangueria Femmes

 

logoccta

LA TANGUERIA : UNE INSTITUTION
L’histoire de la Tangueria débute en 1991 par l’ouverture d’un Studio de tango sur le boulevard Saint-Laurent. En 1993, le Studio change de nom pour la Tangueria, qui deviendra au fil des années un lieu culte incontournable dans le milieu du Tango à Montréal. Elle a formé des milliers de personnes au tango argentin et est un des principaux acteurs dans le milieu du Tango. Elle est aussi l’une des plus anciennes écoles avec salle de danse de tango argentin en Amérique du Nord.